Le fermier de Concord
« Minott, fermier de Concord, est peut-être le fermier le plus poétique-qui résume le mieux pour moi la poésie de la vie du fermier-que je connaisse. Il ne fait rien avec hâte, comme une corvée, il fait tout comme par amour. Il s’applique à sa tâche et prend une satisfaction infinie à tous les détails. Il ne songe pas à la vente de ses récoltes ni au profit pécuniaire;sa récompense, c’est la satisfaction continuelle que son travail lui procure. Il n’a pas assez de terres pour qu’elles lui soient un souci, ni trop d’ouvrage, pas de domestiques à gager, mais juste assez de biens pour s’occuper agréablement de vivre »
David Henri Thoreau ( 1837-1861), « journal », presses d’aujourd’hui, pp78
Aujourd’hui, en 2011, les terres agricoles cultivables de nos pays « développés » partent soit :en kilomètres de bitumes pour faires des parkings , des routes, des zones industrielles et commerciales…ou bien sous l’étalement urbains avec l’explosion exponentielle des petites maisons individuelles format « réussite sociale de la classe moyenne oblige »,soit dans les plaines en déserts végétaux à perte de vue chancres de la monoculture intensive.De même que l’on conseillait dès années 70 à nos mères de ne plus allaiter leurs enfants au sein pour être moderne, nos veaux aujourd’hui immédiatement isolés de la mère boivent au biberon du lait en poudre gout vanille avec antibiotiques pré dosés. Par ailleurs des générations de petits d’homme élevés pour le coup au lait de vache sont devenus allergiques, ou bien comme en Afrique conséquences désastreuse du lait en poudre sur les nourrissons à cause de l’eau insalubre utilisée! Dégâts collatéraux de la modernité? Pourquoi je parle de lait? Car c’est l’archétype du lien a la terre. Notre rapport avec l’autre. L’homme et son milieu. Pourquoi opposons nous souvent dans l’opinion commune l’homme de la terre (paysan) et la modernité? Le travail manuel avec le travail intellectuel?
LA PAROLE CONFISQUEE
Je pense que l’ homme sans racine est fragilisé. LA racine d’un homme c’est sa culture, c’est à dire la parole, le verbe qui le relie aux siens, aux autres. Dans la plupart des sociétés traditionnelles, l’on organise ces temps de parole collective, car ils fondent la société des hommes (LEVI STRAUSS totem et tabou) Nous avons tous nos mythes, nos légendes, nos fantasmes.
Dans une France rurale aux débuts de l’ère industrielle les « veillées » au coin du feu participaient de cette transmission de la culture entre les générations, le mythes, les histoires personnelles, les tabous, les débats…autant de creusets ou s’effectue dans l’alchimie de l’échange la formation d’un esprit critique. Puis, les Diderot et compagnie dans leur beaux salons sauront aussi et plus raisonnablement donner à l’esprit critique toutes ses lettres de noblesses..enfin le syndicalisme autour de la parole et la solidarité ouvrière fondement d’un « social humanisme ».
La religion ne relie plus les populations: avec un 19ème siècle moraliste (Napoléon III pro clérical face à la laïcisation de la société), l’église réponds de moins en moins à son rôle de lien social. le petit peuple ne s’identifie plus (n’est pas dupe) de cette église de privilèges et de richesses. (thèse Marxiste « religion opium du peuple ») deuxième fragilisation identitaire: l’église n’est plus « l’agora » ou « basilique « au sens de lieu de parole publique. Les églises devenues énormes à l’ère gothique, se vident inexorablement de toute vie pour devenir aujourd’hui au mieux des témoins de l’ingéniosité humaine artistique et technique.Cela marque cette nouvelle ère dite de l’anthropocène, nouvelle époque géologique de la domination grandissante de l’espèce humaine sur toute autre force géologique et naturelle, qui aurait débuté au début du XIX ème siècle. Dans notre monde contemporain où s’organise le temps de parole entre générations? devant la télévision? La télévision en plus de monopoliser une parole, n’offre aucune respiration, aucun temps de réflexion ou droit de réponse. La dictature de la pensée unique est entrée dans nos foyers. L’homme acculturé est ainsi produit à la chaîne d’une pensée toute puissante, productiviste et mercantile. Qu’elle message de la télévision? Le rêve américain « the américan way of life »: mode de vie à l’américaine. La parole est un brouhaha en fond sonore, fatiguant, stressant. L’autre n’a plus de corps, il est devenu une « information » et une « image » qui pénètre le foyer. L’homme moderne rentre dans un système d’auto protection : la peur. et plus généralement la peur de l’autre.
Le modèle est donné: ne sont représentées que les classes de la réussite sociale, par la maison petit pavillon, la voiture, la piscine, le silicone et la chirurgie esthétique pour les hommes comme pour les femmes. puissance , gloire et richesse matérielle. le moyens pour y arriver? consommer. les hypermarchés deviennent les temples de la consommation , ritualisée, instituée.
LES CORPS EXPLOITES, DESTRUCTION DES TERROIRS
20eme siècle apogée de tous les espoirs en « l’homme moderne » (blanc et occidental de préférence) l’on propose aux paysans de quitter leur terre pour devenir ouvrier. Promesse d’une vie meilleure. En Maurienne l’on paie même pour arracher les vignes. En Tarentaise (73) des paysans cumulent dans la même journée le travail de ferme, et l’usine ! Ces saisonniers qui autrefois se louaient pour aider aux travaux de récoltes de part et d’autres des alpes, se voient embauchés dans des projet industriels de grande envergure (aspect patriotique) comme le barrage de Tignes- ensevelissant un village et les leurs sous les eaux, expulsés contre leur grès à coup de renfort militaire, et de matraquage, et dans des conditions de travail pires que tout, nombre de ces saisonniers ont payé de leur vie ces chantiers pharaoniques de la modernité .(EDF) On voit ces grandes exodes rurales au cours de ces ères industrielles.Les hommes quittent leur terre. Et puis la guerre 14-18, la pire des horreur. Envoyer se battre le petit peuple avec l’idée du patriotisme salvateur: se faire pardonner d’être de la province, de la terre en allant se faire tuer dans les tranchées? C’est dans les petits villages que des familles entières se sont vues décimées. Casser la solidarité des terroirs en broyant ces hommes sous un même uniforme, et en mélangeant les origines. Témoignage poignant de jean GIONO (Jean le bleu ?) au moment où dans les tranchées un berger se met à jouer de son pipot et sous l’emprise d’une émotion humaine les ramenant à la vie dans leurs montagnes, les soldats réalisent l’absurdité d’une guerre qui ne représente rien pour eux. Casse de l’identité de terroir au profit du patriotisme. Déraciner, et acculturer pour mieux manipuler. Deuxième guerre mondiale, la résistance s’installe dans les montagnes et dans les campagnes. Les communautés de montagne sont traditionnellement rodée à la solidarité et à l’esprit de résistance. Entassés dans les villes, sans un lopin de terre pour subvenir à leurs besoins, réduits à un geste mécanique à longueur de journée, heureusement que la classe ouvrière à su réenchanter le monde avec l’espoir de « l’international socialisme » ,les congés payés, le conseil national de résistance…. qui sont les grandes victoires du peuple.
Comment peut-on accepter que des hommes soient obligés de quitter leur terre (immigration), ou bien soient dépossédés du droit à la terre (mouvement des « sans terre » en amérique latine), du droit à cultiver la terre de manière vivrière (réformes agraires) ?
RELOCALISER Les IDENTITES: CULTIVER NOS TERROIRS POUR MIEUX ETRE CITOYEN DU MONDE
Aujourd’hui l’écologie est au coeur des préoccupations de nos sociétés. Les terres cultivables meurent, les eaux polluées, les agriculteurs rongés par le productivisme, producteurs exploités…les consommateurs empoisonnés…notre planète est épuisée mais rien n’est irrémédiable. Des hommes comme José Bové,et Pierre RABHI prouvent que par les hommes de la terre une révolution des consciences est possible. Elle passe par la mise en pratique, par le geste, par l’expérience tout autant que par la parole, l’écriture. Là où l’on a ternis autre fois l’image du « paysan » dans son corps rustique, dans son labeur, et son mode de vie simple, aujourd’hui il serait opportun de reconnaître que le paysan est le pilier d’avenir de nos sociétés. En effet, en plus que de fournir des aliments nécessaires (et de qualité) à notre subsistance, il donne au paysage l’empreinte écologique de l’homme et la solution locale d’un art de vivre. (lien vers le film de Colline Serreau « solutions locales pour un désordre global »)
Nous devons devenir tous un peu des paysans si nous voulons nous réapproprier nos vies: choisir et être à l’origine de la qualité de nos aliments, cultiver les goûts et les saveurs, comprendre les saisons et les cycles de notre corps afin de mieux les respecter.
Enfin sortir de l’emprise des lobbies industriels quels qu’il soient qui nous infantilisent. Le travail du corps dans une activité saine n’est pas pénible. La cadence est pénible, « plus vite plus haut plus fort… » scandent les pros de la compétitivité, du productivisme (capitaliste ou soviétique). Nous ne voulons plus de ces valeurs, boycottons ces principes de modernité qui passe par l’accélération et la vitesse! Cessons de privilégier la quantité sur la qualité: la sobriété heureuse c’est vivre dans une simplicité volontaire qui nous permette de nous détacher de cette course infernale du dernier gadget à la mode pour lequel la plupart d’entre nous s’endettent! Et alors serons nous à même de faire une Europe des cultures et des peuples et non pas ce leure européens dans lequel nous sommes actuellement avec le libéralisme sauvage!
Prendre le temps de relocaliser nos économies, notre gastronomie et nous apprécier entre nous par la richesse de nos biodiversités! Nous citoyens nous pouvons choisir de ne pas être un « con sommateur » qui se laisse guider par la publicité. Il n’y a pas de méthode, ni de modèle, chacun oeuvre de sa propre stratégie selon ses possibilités, et nos propres critères. Il s’agit avant tout de faire l’effort de sortir du cadre pré-établis, du modèle ambiant et trouver nos propres solutions, ou tout au moins de les envisager. Sortir de mes certitudes implique une prise de risque: la mise en abîme de mes gestes habituels -si je ne vais pas en hypermarché faire mes courses où vais-je? Pour quels gains? Par moyen de locomotion? Avec qui? Quels produits vais-je acquérir pour quelle gestion de ma vie familiale: comment je cuisine, quel effort suis je en capacité de faire, et comment la famille participe de cet effort?…..)
La question est « vivons nous pour travailler ou travaillons nous pour vivre »?
Quand nos gestes quotidiens (tout ce qui constitue nos nécessités de base et qui découle d’une seule: se nourrir) ne deviennent plus des corvées alors nous sommes à même de « profiter « de la vie et cela ne dépends pas de ce que l’on fait, mais du comment le fait on! Pourquoi se nourrir (et travailler pour…) est une contrainte quand on peut en faire un lieu de découverte, un parcours initiatique, une démarche, moments d’expérimentations, ou moments de convivialité , un engagement politique et social….? lien slow food Et de conclure sur les mots d’ Octavio Paz qui nous offrent la possibilité d’un regard neuf, multiple, libéré du point focal:
« nous vivons la fin du temps linéaire, du temps de la succession: histoire, progrès, modernité. »
OCTAVIO PAZ « Rire et Pénitence », (art et histoire), essais, Gallimard, 1983